Contes et récits de ma grand'mère
Frédéric Soulié
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215 pages. Temps de lecture estimé 2h41min.
Frédéric Soulié (1800-1847) "Le 1er mai 1831, à sept heures du soir, une pauvre famille de pauvres gens était rassemblée dans une salle basse qui était l’arrière-boutique d’un serrurier et lui servait aussi de salon, de salle à manger et de chambre à coucher. Quatre personnes étaient assises autour d’une table, sur laquelle était posé un calel, la lampe du pauvre dans le Languedoc, une sorte de coquille à trois becs avec une grande tringle de fer qui se dresse debout à l’un des côtés et qui, grâce à la courbure qui la termine, sert à la suspendre soit à une ficelle attachée au plafond par un clou, soit à la barre de fer qui règne d’ordinaire le long du manteau de la cheminée. Ces quatre personnes étaient silencieuses, et l’une d’elles, la plus âgée, interrompait de temps à autre la reprise qu’elle faisait à un pantalon de gros drap, pour essuyer, avec le coin de son mouchoir à carreaux qu’elle tirait à moitié de sa poche, une larme qu’elle n’arrêtait pas toujours assez tôt pour l’empêcher de tomber sur ses mains. Deux jeunes filles, dont l’une pouvait bien avoir dix-sept ans, l’autre douze, travaillaient à côté de leur mère. La plus jeune tricotait et achevait une paire de bas d’une sorte de laine jaune qu’on appelle étame dans l’Albigeois, car c’est à Albi que notre scène se passe. Une paire de bas d’étame pour un ouvrier, c’est un grand luxe, car l’étame est une espèce de poil doux, luisant, chaud et moelleux comme le cachemire. L’aînée ourlait des mouchoirs de poche en cotonnade bleue, et de temps à autre quittait son ouvrage pour surveiller un pot où bouillait un morceau de mouton, deux cuisses d’oie conservées dans de la graisse, un peu de lard et des choux. À deux pas de la table, sur une huche à serrer le pain, sorte de grand coffre qui s’ouvre par un couvercle comme une malle ; sur cette huche était une longue corbeille, comme celle dont les pâtissiers se servent pour transporter leurs gâteaux. Cette corbeille était intérieurement recouverte d’une serviette de toile blanche, et sur la toile était répandue une épaisse bouillie qui était devenue ferme en refroidissant ; à côté était une assiette avec une petite provision de saindoux et une soucoupe avec une demi-livre de cassonade brune. Tout à fait au coin de la huche, la pâle lueur du calel faisait reluire le goulot de deux bouteilles de vin. Il y avait une fête assurément dans la maison." Recueil de 9 contes et récits : "Le tour de France" - "Le cocher du maréchal C..." - "La poupée de la fête aux Loges" - "L'orpheline de Waterloo" - "Le louis d'or" - "Louis Jacquot" - "Le roi Jean" - "Le conseiller au parlement" - "La mort de Duranti"